Dirigée à Paris par Aïssa Khelladi et Marie Virolle, la revue algérienne Algérie Littérature / Action – connue depuis 1996 pour avoir été à l’origine, sinon l’égérie du courant dit « littérature d’urgence» – vient de célébrer d’une manière fort originale le cinquantenaire de l’indépendance. Sous le titre 1962, frère parmi les frères, sur les pas de Jean Sénac (n° 157-162, septembre-décembre 2012, 158 p.), elle offre un vaste panorama de toutes les personnalités qui, gravitant autour de Jean Sénac (1926-1973) comme fil conducteur, ont inscrit leur nom dans le panthéon de cette mémorable année. Dans un long liminaire déclaratif, véritable prosopopée, Marie Virolle retrace le parcours des éditeurs, écrivains, peintres et penseurs qui croisèrent de près ou de loin Sénac. Cette maison d’édition, établie à Rodez (Aveyron) où plane l’ombre calcinée d’Antonin Artaud, a imprimé aussi – clandestinement – le bulletin Résistance Algérienne et El Moudjahid. Vient ensuite le peintre Abdallah Benanteur qui illustra tant les poètes algériens qu’universels. Djilali Kadid, son principal exégète, retrace son itinéraire si personnel dans L’univers d’Abdallah Benanteur et la nostalgie du paradis, un titre résumant toute une poétique d’un regard qui n’a cessé de se renouveler. Lui succède Mostefa Lacheraf, lequel connaît Sénac depuis 1953 à l’occasion du lancement de sa revue Terrasses (un seul fascicule paru en juin 1953). Pour ce dernier, Lacheraf est avant tout un poète de haute densité lyrique et un critique littéraire averti, « Une des consciences les plus fertiles, les plus éclairantes de ce peuple, notre chef historique du Verbe
« (mars 1967). N’oublions pas que Lacheraf est aussi préfacier de son recueil poétique Matinale de mon peuple (1961, Subervie), avec 15 dessins de Benanteur.
Sénac croisa d’autres écrivains et peintres algériens ou rattachés charnellement à l’Algérie, abordés ici dans des notices et articles d’inégale longueur, avec biobibliographie à l’appui. Le premier d’entre les auteurs – sur le plan chronologique – est Mouloud Feraoun, que traite Sylvie Thenault et que Sénac a été le premier à évoquer dès janvier 1946 dans La presse d’Algérie pour son roman Menred, titre initial du Fils du pauvre. On trouve aussi Kateb Yacine qui publia conjointement avec Sénac dans de nombreuses revues en Algérie ou en France, et ce dès 1947. Malek Haddad, qui présenta à Sénac l’éditeur Subervie, a été son compagnon de lutte durant la Guerre de libération nationale en France. Cette dernière lui a permis de rencontrer d’autres auteurs dont les poètes Djamel Amrani et Mourad Bourboune, les romanciers Jean Pélegri et Kaddour M’Hamsadji. Dans Mouloud Mammeri et Mohamed Dib, itinéraires conjoints, Christiane Chaulet-Achour aborde longuement ces deux grands « classiques » de la « génération 1952 » qui furent des amis de Sénac, lequel les jugea et les édita dans des périodiques.
Assia Djebar est également présente, par de larges extraits de son discours de réception à l’Académie française (22 juin 2006, soit une année après sa triomphale élection le 16 juin 2005).Parmi les autres peintres amis de Sénac, on retrouve Sauveur Galliéro, objet d’un portrait et d’une critique du premier. Celui-ci est pionnier à nous apprendre que cet artiste, notoirement anticonformiste, a servi de modèle à la composition du personnage de Meursault dans L’Étranger d’Albert Camus. Jean de Maisonseul n’est pas oublié, lui qui, en tant que directeur du musée national des Beaux-arts (1962-1970) a contribué – avec Sénac – à la « renaissance » de Baya à l’indépendance. Par ses multiples actions, il assura la gloire posthume du poète. Quant à son œuvre plastique, elle est commentée par Camus et Sénac qui s’est avéré un critique d’art perspicace. Mohamed Khadda demeure présent puisqu’il a accompagné Sénac en illustrant son recueil La Rose et l’Ortie (1964), lui pour qui le poète a prononcé pour la première fois et en 1955 l’expression « École du Signe », laquelle connaît à ce jour une extraordinaire fortune. Enfin, Jean Degueurce est un peintre, hélas méconnu, de cœur comme de nationalité juridique. Un hommage le consacre dans l’histoire culturelle algérienne, lui qui dispose d’une abondante œuvre dont d’admirables peintures des journées de la fête de l’Indépendance.
Parmi les hommes politiques qui furent proches de Sénac sont retenus Amar Ouzegane et Mohamed Boudia. Le premier cité a été le premier ministre de l’Agriculture du premier Gouvernement de l’Algérie indépendante, à qui Sénac dédia le poème de circonstance Éloge de la réforme agraire et de la langue du peuple (janvier 1963), deux grands axes du gouvernement de l’époque. Quant au second, il a été le premier directeur du Théâtre National Algérien présentant de nombreuses pièces brechtiennes, avant de s’exiler après le 19 juin 1965 à Paris pour y mourir assassiné en juin 1973.
Les actions de Sénac en Algérie indépendante ne sont pas oubliées : qu’il soit au CIRBUA ( Comité International de Reconstitution de la Bibliothèque Universitaire d’Alger ) incendiée par l’OAS le 7 mai 1962 ou soit à l’origine de la création de la première UEA ( Union des Écrivains Algériens ) fondée le 28 octobre 1963, le concerné y a mis toute sa foi et son énergie. Sénac a été enfin un admirable épistolier comme le souligne sa correspondance si révélatrice avec son fils adoptif Jacques Miel (1962-1973) dont sont repris de larges extraits. Outre des œuvres des artistes retenus, le volume est illustré d’un dessin de Denis Martinez, de photographies et de documents divers. Quelle belle et instructive pérégrination dans l’histoire et l’iconographie d’une Algérie, en Algérie, d’Algérie !
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