« Je fais partie d’une génération qui n’a pas connu les faits, dont le regard est dépassionné sur la question. D’où une volonté de regarder toute cette histoire avec objectivité, avec le moins de parti pris possible »
L’ivrEscQ : Bernard, le personnage, n’apparaît à aucun moment comme un bourreau. N’est-il pas plutôt une victime d’une tragédie de l’histoire de son propre pays : les deux guerres mondiales, l’Indochine, l’Algérie ?
Laurent Mauvignier : Je ne sais pas. Je n’ai pas envie de le juger, parce que je me sens incapable de le faire. Mais sans doute, oui, on peut dire qu’il est au coeur de l’histoire de son pays, qu’il en porte la souffrance, les échecs, les humiliations, la violence refoulée. C’est seulement un homme né au mauvais moment.
L. : C’est un personnage dont on parle, il ne prend pas la parole et c’est pourtant lui dont le retour sème la discorde au village et accentue sa tragédie individuelle. Pourquoi ?
L. M. : Dans une autre version, j’avais donné la parole à Bernard. Mais, du coup, on en savait trop. Bernard, c’est une blessure à vif, un blessé occupé par sa douleur. Il n’a pas le temps de parler de sa douleur, il la vit, il en est l’otage et l’objet. Il devient mystérieux et pour moi, écrire sur lui est plus intéressant que de le faire parler. On reste à la lisière d’un morceau de violence et de douleur, qu’il est difficile de déchiffrer. C’est ce qui est intéressant, il me semble.
L. : La scène de son agression perpétrée, quarante ans après la guerre, contre la famille Chefraoui, est un acte raciste qui tourne au vaudeville. Quelle est la fonction de cet épisode par rapport au passé de Bernard ?
L. M. : C’est sans doute comme une façon de rejouer cette guerre, un peu comme le début du chapitre «Nuit» qui s’ouvre sur l’attaque du village, on entre dans une maison, on agresse une famille. Là, Bernard fait la même chose, mais sur un mode pathétique, il me semble, plus que vaudevillesque. C’est cette redite qui est aussi une façon de montrer que le passé n’est décidément pas passé pour certains.
Suite de l’entretien dans la version papier
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