L’œuvre de Guermaz apparaît doublement inscrite dans l’histoire de l’art du XXème siècle. Tout à la fois elle constitue une étape originale du développement général de l’abstraction dans le langage pictural et, plus particulièrement, un moment nouveau dans les cheminements de la peinture en Algérie. Installé à Paris, Guermaz y expose plusieurs fois, au début des années 60, parmi les peintres algériens et, au-delà, maghrébins. Il est alors placé parmi les représentants de «l’abstraction lyrique» à l’intérieur de la «nouvelle Ecole de Paris», aussi diverse dans ses tendances que cosmopolite par les origines des peintres, venus de tous les continents, qui la composent. La singularité du climat qu’y introduit Guermaz est approchée, en marge de toute référence à son itinéraire personnel, dans les textes des poètes et critiques qui l’accompagnent, notamment Alain Bosquet, Roger Dadoun ou Jean-Marie Dunoyer, clairvoyant chroniqueur du journal «Le Monde». Dans l’ «Histoire de l’Art» publiée par l’Encyclopédie de la Pléiade, Gaston Diehl en souligne dès 1969 la «mélodieuse musicalité». A Alger, ouvrages, articles ou préfaces inscrivent plus précisément son œuvre dans le développement de la jeune peinture algérienne, associant constamment son nom à ceux des artistes, nés dans les années 30, à qui l’on doit quelque vingt ans plus tard l’émergence d’une expression résolument moderne. Dans ses «Éléments pour un art nouveau», Khadda, lui-même artisan majeur de cette mutation, évoque en 1972 les «trames savantes de Guermaz». Analysant «l’empâtement et les touches en relief» qui animent de «vibrations particulièrement sensibles» la surface de ses toiles, les auteurs de «Musées d’Algérie» observent en 1973 qu’elles partagent avec celles de Benanteur un «sentiment original de la profondeur» et «de l’atmosphère», «qui constitue pour ces deux peintres une finalité». Dans les décennie suivantes, en 1981 deux articles de Tahar Djaout, en 1985 la chronologie publiée dans «Les effets du voyage» qu’organise Fatma Zohra Zamoum, en 1986 la présentation par Mustapha Orif de l’exposition «Algérie, Peinture des années 80» puis en 1989 une plus longue étude de Benamar Mediène pour un dossier consacré à la «Créative Algérie» par la revue «Phréatique», soulignent, à Alger comme à Paris, l’importance de l’œuvre de Guermaz dans l’histoire de l’art moderne en Algérie. Abdelkader Safir, vétéran du journalisme algérien, insiste plus particulièrement en 1992 sur l’urgence de mieux lui rendre justice tandis qu’un article sur «Guermaz l’aîné» revient en 1993 dans «Ruptures» sur cette nécessité, selon les mots de Benanteur, de «briser le silence dans lequel il est abusivement maintenu». L’attention se resserre plus encore, quelques années après sa mort en 1996, autour de Guermaz. Pierre Rey lui consacre en 2000 un mémoire universitaire, plusieurs articles, le préface en 2002 dans le catalogue du cycle « Algérie, Lumières du Sud » pour lequel l’ADEIA présente trois expositions, de Khadda, de Guermaz et d’Aksouh, et publie en 2009 un essai sur «Guermaz, peintre du silence et de la lumière». Simultanément Roger Dadoun, familier de Guermaz depuis les années 50, multiplie interventions, articles ou poèmes. La revue «Algérie Littérature / Action» consacre un dossier à l’œuvre de Guermaz en 2001 et en 2008 deux toiles du peintre entrent dans les collections de l’Institut du Monde Arabe. Un hommage et une exposition de ses peintures sont organisés en 2009 au Centre Culturel Algérien de Paris, tandis qu’est publiée sur son œuvre une première monographie. Ainsi se trouve remise au premier plan l’œuvre de celui qui avait été l’un des tout premiers représentants de la nouvelle peinture en Algérie. Si son travail, en effet, rattache plastiquement Guermaz à la génération des artistes nés autour de 1930, il n’est pas insignifiant qu’il soit l’aîné d’Issiakhem et Khadda, Baya, Benanteur et Mesli ou Aksouh. Il apparaît ainsi le contemporain, en littérature, des premiers grands écrivains algériens de langue française, Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri et Mohammed Dib, Mostefa Lacheraf et Bachir Hadj Ali. Abdelkader Guermaz naît en effet en 1919 à Mascara. «Quand j’avais huit ans, je charbonnais déjà les murs et j’étais le premier en dessin à l’école», a-t-il confié. Après la mort de son père en 1929 il s’établit, dans le quartier arabe du «Village nègre», à Oran. I1 y poursuit de 1937 à 1940 de brillantes études à l’École des Beaux-Arts et se fait remarquer par d’exceptionnelles qualités de dessinateur. Récompensé par plusieurs prix, il obtient parmi les premiers Algériens le diplôme qui lui permettrait de devenir professeur de dessin mais n’enseignera pas. Autour de 1945 on le retrouve à l’Ecole posant occasionnellement comme «modèle vivant» pour les élèves : «nous étions les deux seuls Algériens de toute l’Ecole» se souviendra Benanteur. De 1942 à 1954, Guermaz peint par ailleurs des calendriers et des enseignes pour les boutiques. Dès 1941 il participe à Oran à des expositions collectives à la galerie d’avant-garde «Colline» où Robert Martin présentera les œuvres de Picasso, Clavé, Pelayo, Nallard, Maria Manton et Bouqueton mais aussi de Benaboura, Bouzid, Yellès, Ali-Khodja et Mesli. Pour les jeunes peintres algériens qui l’approchent alors, Guermaz, ouvrant la voie, fortifiant leurs espoirs, apparaît comme déjà introduit dans le milieu de l’art. «Il était plus mûr, en avance sur nous. I1 m’a ouvert les yeux sur ce qui se faisait en peinture», dit encore Benanteur en 1993 : «il a été important pour nous. Il était miraculeux de voir un Algérien faire de la peinture et l’exposer. Peut-être que sans lui nous n’aurions pas fait de peinture, il nous montrait que c’était possible»(…)
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