Dans cette édition de L’ivrEscQ qui entame l’année 2012, et suite à une forte demande de nos lecteurs, nous présentons Fatima-Zohra Imalayène, connue sous le pseudonyme d’Assia Djebar. Cette écrivaine qui publie depuis 1957 est universelle. Elle plaide pour des libertés enlisées, masquées, indisponibles. Elle écrit surtout l’histoire souvent récupérée par les hommes à leur convenance pour leur propre version, comme elle le montre dans Loin de Médine, un ouvrage fort en intonations dont on ne peut se détacher. Au temps des hideuses surenchères religieuses, de l’islamophobie, Assia Djebar remonte jusqu’à l’avènement de l’islam pour amener à la femme son legs. Elle ressort des figures de femmes héroïnes, guerrières, fortes, battantes ou témoins en leur donnant une voix occultée pour reconquérir leur place en transgressant l’ordre établi ; elle réapproprie leur place tout en cherchant elle-même à se libérer. Ainsi Loin de Médine est-elle une œuvre immensément grandiose ! Lorsqu’Assia Djebar évoque la cadette du prophète Mohammed en complétant quasiment la version des hommes, on penserait presque qu’elle la remet en question. La fille tant choyée par son père, prophète, est plus que jamais féministe, son verbe est contrarié ; ou encore Aïcha, la jeune épouse du prophète, celle qui apprend les sîra de son bien-aimé pour perpétuer la parole de Dieu et la sunna. Ainsi, dans chaque récit l’écrivaine ôte le voile qui amenuise le rôle de la femme. De Même Vaste est la prison, un tout autre registre, l’auteure, quêteuse de l’absolu, raconte une passion amoureuse quasi pudique dans laquelle on soupçonne cette religiosité, comme ultime remède à ses attentes amoureuses, qui la guette mêlant tour-à-tour l’indéchiffrable et le permis. Ses écrits sans fioriture ni excès sont une recherche, une analyse qui se veut plausible, c’est une incitation à la révolte devant un silence tacite des masses. Elle, qui a eu la chance d’étudier, de se révéler sous l’Algérie coloniale, n’a cessé d’écrire et conquérir les passions pour vaincre les effacements, ce mot aux résonnances multiples lequel sème une fougue, voire une hargne, au changement. Elle avait la chance d’étudier grâce à son père, instituteur, et est diplômée ès lettres. Elle enseigne à l’université de New York, reçoit en 1999 par l’Académie française, la médaille de vermeil de la francophonie. Dans toute son œuvre, on survole un pan de l’histoire et chacun de ses ouvrages propose une libération concrète à partir d’une situation particulière. Ainsi, en juin 2005, elle est élue à l’Académie française, place vacante laissée par le juriste Georges Vedel, soit une semaine avant ses soixante-dix ans. Assia Djebar est la première Maghrébine reçue par les Immortels aux côtés de Jacqueline de Romilly, Hélène Carrère d’Encausse et Florence Delay, elle est la quatrième femme à siéger parmi les 38 académiciens. D’ailleurs, dans ce numéro de L’ivrEscQ, nous présentons ses déclarations publiées dans plusieurs journaux, notamment son discours qu’on devinerait presque d’une voix de velours scandant un message dans la profondeur de ses valeurs éternelles. Je ne peux m’arrêter d’évoquer cette immense référence littéraire, bien de chez nous, pourtant le magazine est riche en sujets plus intéressants les uns que les autres !
En cette année qui célèbre le cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, il serait important de revenir sur des acteurs, écrivains humanistes, tel que Emmanuel Roblès qui a eu un rôle prépondérant dans notre littérature classique. Nous le présentons dans ce numéro avec ses dédicaces que nous avons pu obtenir comme celles d’Assia Djebar ou encore de Mohammed Dib, d’Albert Béguin, et tant d’autres… L’ivrEscQ est un travail de passion qui appartient à tous les mordus de la littérature : On découvre Taos Amrouche grâce à l’ouvrage L’exil et la mémoire de Djoher Amhis-Ouksel, on a envie de nous attarder sur les Amrouche, car ils coulent en nous. Des livres, encore des livres d’ici et d’ailleurs, comme valeurs sûres sont de plus en plus rares. Persévérance, endurance ou foi de croire en ces livres enfantés dans des solitudes, dans l’effroi, la fantaisie, l’exil, le mensonge ou dans le vertige des mots, nous continuons à promouvoir le monde livresque. Nous vous invitons, chères lectrices, chers lecteurs, à intervenir dans cet espace qu’est le vôtre, à partager avec nous votre coup de cœur : un auteur a besoin de ce lien étroit avec le lecteur pour être pérenne. Bonne lecture !
Nadia Sebkhi
n.sebkhi@livrescq.com
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