(De France, Atarès a été transféré au camp de Djelfa, Algérie)
5 juin 1941
Cher ami,
Je suis bien triste qu’on t’ait envoyé là où tu es, si le climat te fait du mal. Dis-moi si on peut faire quelque chose pour toi. As-tu besoin de choses chaudes pour la nuit, si les nuits sont froides ? Si oui, indique-moi à peu près les mesures. On ne peut presque rien se procurer comme vêtements, mais j’y arriverai peut-être quand même. Je te copie une copla que je trouve belle : Les oiseaux d’Arabie vivent éternellement ; ainsi vivent-ils parce qu’ils ignorent ce que sont les peines s’ils devaient avoir de la peine dans le monde il n’y aurait point d’oiseaux d’Arabie.
Oran
[Non datée, mais vraisemblablement autour du 20 mai 1942. Simone Weil embarque avec ses parents le 14 mai 1942 sur le paquebot Maréchal-Foch, de Marseille à Casablanca via Oran, et ce en partance pour les Etats-Unis].
Cher ami,
Aujourd’hui, je suis obligée de t’écrire quelque chose qui, j’en ai peur, te fera beaucoup de peine. Cela me déchire le coeur d’y penser. Je te parlais, dans ma dernière lettre, de démarches entreprises par mes parents pour aller en Amérique, et je te disais que je ne peux pas refuser de les accompagner. Mais je ne pensais pas que ces démarhes aboutiraient. Elles ont abouti, et on a eu très vite, par hasard, une place sur un bateau. Je viens de faire cette traversée que tu as trouvée si belle. Pendant que la merveilleuse présence de la mer tout autour emplissait toute mon âme, je pensais à toi. Ce qui me fait du chagrin, c’est que les lettres mettent bien plus de temps d’Amérique que de Marseille. Notre correspondance deviendra difficile. Les lettres par avion sont trop coûteuses pour qu’on puisse en envoyer souvent. Les autres vont lentement. Mais nous continuerons quand même à nous écrire. Surtout nous resterons unis par la pensée. Je penserai à toi chaque jour. Chaque jour dis-toi : « Aujourd’hui mon amie a pensé à moi et désire que je reçoive la plénitude de la joie ». As-tu écrit au consul du Mexique, sinon fais-le vite. J’ai fait parler de toi à quelqu’un qui a une fonction importante au consulat. Si cela réussit, nous nous retrouverons peut-être sur le continent d’Amérique. Je charge les étoiles, la lune, le soleil, le bleu du ciel, le vent, les oiseaux, la lumière, l’immensité de l’espace, je charge tout cela, qui reste toujours avec toi, je charge tout cela de mes pensées pour toi et te donner chaque jour la joie que je te désire et que tu mérites tellement. Pardonne-moi de n’avoir rien pu pour toi et de m’en aller maintenant au loin. Si tu peux, écris-moi tout de suite à cette adresse : Mlle Simone Weil, chez Mme Bercher, 148 rue blaise-Pascal, Casablanca. Crois en ma profonde amitié. Simone Weil.
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