Je me réjouis d’avoir ainsi l’opportunité de voir, «en vrai» – selon l’expression d’une femme de l’Île de la Réunion qui, connaissant Aïcha, la chanson de Khaled, voyait enfin, en moi, qui porte le même prénom, «Aïcha, en vrai»- de rencontrer donc, enfin, ce grand écrivain qui ne laisse personne indifférent et que j’ai découvert, dès la parution de son premier roman La répudiation. J’ai également lu Topographie pour une agression caractérisée, L’escargot entêté et d’autres… J’ai pu suivre, à la faveur du second festival méditerranéen, de la création féminine Le journal d’une femme insomniaque à travers le jeu de Sonia, cette grande comédienne, à Thessalonique, en Grèce, en l’an 2000… J’ai toujours suivi la carrière de romancier de Rachid Boudjedra par le biais des articles de presse, des revues spécialisées, de la télévision, jusqu’à aujourd’hui. Je connais son engagement pour la vérité, la vérité, mon constant tourment. C’est seulement à cause de son style spécifiquement difficile , que je ne l’avais pas inscrit parmi les auteurs à étudier , à mes étudiants en langue française, dans les universités allemandes et les participants des cercles de lecture, que j’avais créés afin de faire connaître la littérature algérienne, mais j’ai parlé, bien évidemment de lui, de beaucoup d’autres ainsi que des auteurs qui écrivent en arabe.
Je tiens à remercier Nadia Sebkhi qui m’a invitée à participer à ce forum et en particulier à la 3ème session de ses travaux, consacrée à l’hommage à Rachid Boudjedra.
Janvier 2016 / N° 44 31 Je dois ajouter que Rachid Boudjedra était déjà connu en Allemagne grâce à la traduction de ses romans publiés par l’éditrice allemande, Donata Kinzelbach, ici présente.
Destinataire du programme du FIRA, ce festival international du roman- Algérie, organisé notamment par la revue L’ivrescq, il y a quelques jours, alors que je me trouvais à Saïda, ma ville natale qu’on dit «lointaine», je me suis dit, « qu’est-ce que je peux dire au sein de cette table ronde, à propos de Rachid Boudjedra, alors que mes lectures sont très anciennes ?»
Avant-hier, dans la bibliothèque de ma sœur, j’ai trouvé, entre autres de ses livres Les 1001 années de la Nostalgie : déjà, Les 1001 années m’inspiraient, en relation avec le film Chroniques des années de braise, de Lakhdar Hamina, dont Rachid Boudjedra avait d’ailleurs signé le scénario, et la nostalgie, cette nostalgie qui me taraude aussi : nostalgie des lieux, des personnes, mais surtout, nostalgie d’un certain ordre : celui de la parole donnée, celui de la rigueur, celui de l’authenticité ; un monde de souvenirs mais aussi de silences.
Hier, j’ai ouvert le livre et les premiers mots m’ont sauté aux yeux, «S.N.P Mohamed était tellement méfiant…», et j’ai tout de suite pensé à mon frère de lait, un noir, qui s’appelait, autrefois, S.N.P Mohamed, comme le héros du livre ; autrefois, parce que dès l’indépendance, il a retrouvé avec toute sa famille, son vrai nom, Belbachir Mohamed. Bien sûr, ayant fait, hier, un long voyage, quelque peu difficile, je n’ai pu commencer une lecture sérieuse du livre mais je l’ai feuilleté et j’ai trouvé des lieux à la sonorité lointaine, exotique : «Manama, Macao, Port-Soudan… »,
l’évocation du grand penseur Ibn Khadoun et des faits qui n’avaient rien à voir avec ma lointaine enfance, que j’ai largement évoquée dans une autobiographie datant de 1997, intitulée Les secrets de la cigogne, encore inédite parce que je trouve qu’elle n’a pas encore livré tous ses secrets… A chacun de mes séjours à Saïda, je trouve encore d’autres paroles, d’autres personnages, d’autres lieux et d’autres situations qui m’ouvrent leurs portes…
Dans la 4ème de couverture de ce livre de Rachid Boudjedra, je lis «Quelque part aux confins -remparts de l’ordre ancestral…» : J’ai chanté le désert, notre désert depuis Saïda qu’on appelle La porte du Sud , chaque fois que je l’ai pu jusqu’à mon recueil de poésie «Quand la lumière du désert éclaire la parole du poète», où dialoguent des peintures d’un ami allemand, amoureux du désert algérien, et mes mots sortis d’un silence profond, accompagnés de reproductions de tableaux, fortement évocateurs d’amis, de connaissances.
Je poursuis la lecture de cette 4ème de couverture : «La nature a enroué la raison collective. A force de calamités, on a bradé le désespoir. Fatalisme désinvolte, pieuse invocation. Profane superstition…». Et je revois mon Algérie actuelle… Vision aggravée par la phrase suivante : «On subit la pernicieuse infiltration étrangère, on laisse aller des sortilèges, on détourne l’âpreté grâce au prodige du merveilleux, jusqu’à ne plus savoir, du réel et du rêve, démêler les écheveaux… ». Notre réel actuel, notre recherche âpre de la rectitude, notre combat avec une bipolarité généralisée… Mais «La conscience est là, qui chuchote et qui reconfectionne…» Un espoir fou !
«La mémoire feuillette…». Et tous les S.N.P de mon enfance défilent… Êtres sans nom patronymique. Êtres nés sans nom alors que la mère et le père existent ; avec un vrai nom ! Falsification des colonisateurs… Cruauté et mépris de ceux qui furent nos maîtres. S.N.P ! On disait en arabe : Sènpi ; il y en avait des Sènpi ! Mon frère de lait, Mohamed, habitait la même maison que nous : des pièces bordant une grande cour où trônait la fontaine collective. Il est le fils de ‘Ammi Abderrahmane que je n’ai pas connu. Mort trop tôt ; le travail très dur ; les privations sans doute. Il venait de la région de Gourara. Mohamed est mon aîné ; en fait, nos mères avaient allaité l’enfant de chacune et ma sœur de lait directe, d’âge égal, donc, c’est Yamina dite Nanna ; Yamina comme ma propre maman alors que sa maman à elle s’appelait Aïcha, comme moi ; cela n’avait pas été fait exprès mais cela nous plaisait !
«La mémoire feuillette… » ; ce à quoi s’ajoute, sur cette même page «et lapide ses traîtres, exhume ses héros, corrige ses mythes…». Que Dieu, à partir de votre œuvre, vous entende, Rachid Boudjedra ! Et je relève la suite, dans cette même communion inédite, cet élan suprême : « la métaphore se démembre finalement dans le sigle de celui qui, pour diluer la nostalgie, revendique son identité». Merci, Rachid Boudjedra, pour cette œuvre, pour toutes vos œuvres qui totalisent un demi-siècle de créativité intense.
Je suis heureuse de pouvoir contribuer, aujourd’hui, à cet hommage collectif. L’histoire et la littérature universelle retiendront certainement votre nom.
Aïcha Bouabaci
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