Une plume sertie de dérision face à soi, d’humour, d’anecdotes et de fraîcheur.
Un bon radotage devant le temps qui court.
La force de l’écriture chez Pivot est sans rides, ni oubli, ni arthrose, ni Alzheimer, ni…, ni…, ni ! Et puis, qu’importe la vie-la mort, pourvu que l’instant soit fortement fort et l’emporte sur le reste. Et puis, tous les âges ont droit à l’enchantement !
Ce livre nous injecte un rayonnement de lueur et de joie.
Nous vous le conseillons vivement, particulièrement, à ceux qui sont encore frappés par l’angoisse du Covid-19, avec quelques extraits.
Lecture recommandée !
« Dans le métro ou l’autobus, mon attitude est pour le moins étrange. Je
m’en amuse alors que je devrais avoir le rouge au front. A-t-on remarqué
qu’en vieillissant on rougit de moins en moins, même les femmes, plus
sujettes que les hommes à la coloration spontanée ? Les émotions sont plus
lentes, le sang aussi.
Si aucun voyageur ne me cède sa place, j’ai deux réactions possibles.
Soit je bouillonne, j’enrage. Mes cheveux blancs, mes rides, mon air
fatigué, mon corps tassé, merde, ça n’émeut donc personne ? Bande de
fesses molles !
Soit je me félicite de paraître assez costaud et fringant pour ne pas
susciter la compassion. Tu portes encore beau, si, si ! Tu as encore la pêche,
ça se voit, tu ne fais pas pitié, et c’est tant mieux !
Dans le cas contraire, si une jeune fille ou un jeune homme se lève pour
m’offrir son siège, je reçois ce geste altruiste de deux façons.
Soit, orgueilleux, je refuse tout en me confondant en remerciements,
alors que j’en veux à ce blanc-bec de m’humilier publiquement en attirant
l’attention des passagers sur mon âge et mon physique. Il se rassoit, un peu
vexé, désemparé, probablement moqué par ses voisins assis que mon refus a
soulagés du trait de mauvaise conscience et de jalousie qui les a frappés
quand il s’est levé.
Soit j’accepte le siège rendu libre et, tout en remerciant mon bienfaiteur,
je le maudis intérieurement de m’avoir infligé en public ce camouflet.
Porter assistance à autrui, c’est l’inférioriser tout en se valorisant. Bien
joué ! C’est lui qui aurait dû me remercier d’avoir accepté son offre ! Tandis
que je m’assois, je me reproche déjà d’avoir préféré le confort à la dignité.
Ma réaction dépend-elle de mon humeur ou de ma forme ? Non, du trajet.
S’il s’agit de deux ou trois stations, j’accompagne mon refus d’un sourire
splendide d’où on peut conjecturer que ma jeunesse n’est pas aussi lointaine
qu’il y paraît. Pour une dizaine de stations, ma force d’âme cède devant
l’ultimatum de mes jambes.
On aura raison de me juger bien retors, d’un cynisme qui n’est pas dans
ma nature. Mais on est comme ça, les vieux : compliqués à certains
moments, pinailleurs, injustes, arrogants. Nous exploitons à fond les
circonstances où nous avons encore du pouvoir ou de l’influence, nous en
jouissons sans modération. Cela nous monte un peu à la tête, mais c’est
bon, très bon.
C’est que nous retirons du grand âge quelques avantages, pour la plupart
produits par notre image. Notre visage fripé est une carte d’identité, notre
fragilité, un passeport. On bénéficie d’attentions, on nous doit des égards.
Sans compter les privilèges des cartes senior. Mais celles-ci relèvent de lois
et règlements. Si précieuses soient-elles, parce qu’elles sont un dû et le lot
de tous, leur possession ne procure pas les émotions ressenties quand la vie
nous fournit des occasions de tester l’ascendant exercé par notre apparence,
comme lorsque nous entrons dans un bus ou un métro bondé. » (p.24-p.25)
« Durant mes années de splendeur, je faisais avec succès trois choses en
même temps. Maintenant, j’en oublie une en route, quand je ne renonce pas
à la deuxième pour me concentrer sur la première.
Finie l’époque des gestes précis et sûrs, des conclusions rapides. Où est
donc passé le patron-époux-père-citoyen aux jugements prompts, aux
actions véloces et efficaces ? Une de mes phrases favorites : « Je vais régler
ça en deux coups de cuiller à pot. » Je suis désormais un vieux lambin.
M’étant longuement observé dans ma pratique de la lenteur, je puis
avancer qu’elle a trois causes.
La première tient aux défaillances du corps, à sa perte de vigueur et de
souplesse. Je lui transmets mes ordres presque aussi vite qu’avant, mais il
les exécute avec mollesse ou gaucherie, comme si le geste demandé lui
paraissait inopportun, contre nature. Quant à l’élégance, il y a longtemps
qu’elle n’est plus de saison. » (p.44)
« Alzheimer est aux personnes âgées ce que l’ogre est aux enfants. C’est le
nom redouté d’un monstre cruel qui s’introduit dans nos têtes et y sème la
confusion, puis le chaos. Contrairement à Cronos, Barbe-Bleue ou les ogres
des jeux vidéo qui, très vite, amusent plus qu’ils n’effraient, Alzheimer
répand réellement la trouille dans les familles. Car, imprévisible, il semble
ne s’en remettre à aucune logique dans le choix de ses victimes. Pourquoi,
demain, ne serait-ce pas moi ?
Le discours médical et la sagesse des familles soutiennent qu’une bonne
hygiène du mental est le meilleur rempart contre Alzheimer. Ne pas laisser
engourdir son esprit, activer ses neurones, donner chaque jour du grain à
moudre au cerveau. Des livres et des articles dans les magazines proposent
mille recettes grâce auxquelles les seniors, s’ils ont chaque jour le courage
d’en suivre quelques-unes, développeront une bienfaisante gymnastique de
l’esprit. » (p.57)
« Le misanthrope devient encore plus misanthrope, l’égoïste encore plus
égoïste, le grincheux encore plus ronchon, le m’as-tu-vu encore plus
vaniteux. Il est rare qu’avec l’âge les principaux traits du caractère ne se
creusent pas davantage. On vieillit en cédant de plus en plus souvent à nos
défauts, en les affichant avec de moins en moins de complexes.
Heureusement, nos qualités suivent le même courant ascensionnel.
L’altruiste devient de plus en plus généreux, le sage de plus en plus sage,
l’humaniste de plus en plus tolérant. » (p.62)
« Voilà à quels comportements, qu’on jugera infantiles, la superstition
pousse ses croyants. Ma foi en un chiffre porte-bonheur serait raillée par les
esprits rationalistes – ma femme en était et, seule à connaître mon addiction
numérotée, s’en moquait gentiment –, mais je leur opposerais trois
arguments : il est incontestable que le chiffre 7 a accompagné la plupart des
grands moments heureux ou décisifs de ma vie ; si coïncidences il y a, le
hasard en est tellement prodigue à mon endroit que je puis me flatter d’être
l’un de ses élus ; enfin, tout cela est bien amusant et me fait croire que,
parmi les énigmes de la vie, il en est de facétieuses. » (67)
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