De Mustapha Nedjai, j’écrivais dans un article de presse intitulé «Un artiste prodigue ou prodige ?..» en 1998 :
«Etonnant itinéraire que celui de ce peintre. Etonnant non pas au sens où l’on parle souvent de façon superficielle de l’itinéraire « achevé » d’un artiste qui aurait, dit-on, fini par se « stabiliser » dans un style, dans une manière, une thématique, une matière ou des supports de sa prédilection. Quelqu’un avec « un » espace, « un » style, « une » griffe déterminés et institutionnalisés comme on le dirait d’une marque « déposée »… Non!»
Pour aborder et partager la vie d’un tel artiste véritable, sa vie foisonnante, il ne suffit pas de donner sa date de naissance ou juste inscrire le nombre de ses expositions réalisées aussi marquantes soient-elles… Il faut aussi et surtout , comme pour tout être vivant, précieusement approcher ce qui n’est pas immédiatement «visible» : l’atmosphère intime de sa vie, sa pensée, ses souvenirs – tout ce qui le propulse de façon secrète, mais forte, permanente et protéiforme – comme un fleuve ou un feu− dans la créativité, l’inventivité, le beau, le merveilleux, le critique, le subtil, l’inédit et le si simplement complexe…
Ainsi comme lorsque assis avec Mustapha Nedjai à sa table de cuisine, où nous sirotons un café noir alors qu’il est près de 20 heures et que je lui pose la question : comment cela se fait-il que tu travailles chaque jour, chaque soir et pratiquement presque chaque nuit à la préparation de ta nouvelle expo (X-Torsion 2014) ?.. Il répond en allumant une cigarette blonde :
«Ma démarche de travail, ma démarche artistique est totalement naturelle. Je ne fais pas d’effort au sens où on s’oblige à faire quelque chose de difficile. Non, ça coule de source, vu que le temps de réflexion prend plus de temps que la réalisation pratique des œuvres…
Mon lieu de travail, comme je dirai ma table de travail de tous les jours, c’est à la fois la peinture, l’écriture, le film, la musique et d’autres formes d’expression aussi. Pour moi, c’est l’évidence même, et je ne peux pas les séparer.»
Mustapha Nedjai a, dès la première phrase, sauté au-delà des apparences et des broutilles pour dire à haute voix ce qui «le travaille 24 heures sur 24»… Il ne pense même pas à dire où il va en ville acheter ses pots d’acrylique ou sa toile, ni comment il s’arrange dans sa pièce d’HLM au troisième étage pour trouver l’espace nécessaire pour peindre et poser délicatement une couche d’or sur le dernier né de ses tableaux dans un espace ceinturé, saturé de livres, d’ustensiles, de toiles réalisées, d’un ordinateur, le tout illuminé par une large fenêtre coulissante donnant sur l’une des rues les plus passantes de Kouba…
«La réflexion de l’artiste est mentale, enchaîne-t-il. Le fait de penser, c’est déjà écrire, c’est une écriture…»
Il fait une pause, yeux grands ouverts derrière les verres de ses lunettes rendues gris bleu par les volutes de fumée de la cigarette…
Et poursuit comme s’il me prenait à témoin : «Alors qu’est-ce qu’on veut dire quand on accole le terme d’artiste au terme d’intellectuel ? Artiste intellectuel… Est-ce qu’on veut dire que l’artiste et celui qui réfléchit sont deux être différents ? Que l’un serait étranger à l’autre ?…»
J’ai à ce moment précis l’impression que Mustapha Nedjai vient de faire à nouveau un flash back sur une thématique qu’il a travaillée il y a plus d’une dizaine d’années dans la série «Mots & Maux» dont l’image fétiche était celle d’un couteau de cuisine qui coupe en deux une plume d’oiseau.
Sculpture OUI OUI OUI
Il écrase sa cigarette dans le cendrier et s’explique : «En fait tout artiste réfléchit, lit, écrit, marche, communique sans cesse, accumule dans sa mémoire, établit un ordre, fait des choix… Il va, vient, traverse et retraverse différentes formes d’expression. Pour ce qui me concerne, je ne sais pas jouer d’un instrument de musique, mais si je savais, je l’aurais fait pour mon travail comme je fais avec la vidéo ou lorsque je sculpte des cubes de verre ou fabrique ma propre bibliothèque en assemblant des planches de bois…
Pour le cristal sculpté au laser, je vais te dire comment ça s’est passé. Un ami du quartier, Hakim Toumi, champion d’Algérie et d’Afrique du lancer du marteau des années 80, est artisan industriel qui réalise des trophées pour les entreprises. En 2008, j’ai été le voir pour les trophées de la BD du Fibda. Parmi toutes ses machines à imprimer même sur des surfaces courbes, il me montre une au laser qui peut inscrire à l’intérieur du cristal lui-même… Or à l’époque je cherchais à réaliser pour moi un rubik’s cube en verre, mobile… ça a été le déclic : on a réalisé le rubiks’ cube en cristal et je lui ai demandé d’inscrire à l’intérieur, une fois à l’horizontale et une fois en diagonale juste le mot OUI… En tournant des doigts ce rubiks’ cube dans tous les sens on ne voyait que OUI, OUI, OUI… À cette œuvre j’ai donné le titre de « Faites vous Je« , autrement dit : essayez de ne pas être un simple béni-oui-oui»(…)
Il n'ya pas de réponses pour le moment.
Laissez un commentaire