C’est sous le signe de l’Histoire, et plus précisément de la commémoration du cinquantenaire de l’indépendance, que se place ce numéro de L’ivrEscQ. À l’orée des souvenances, on exhume notre passé par des auteurs qui racontent une époque, une guerre, une douleur qui reste enfouie en soi et ne porte pas de nom. Sans quantifier à l’aune des chiffres le nombre de récits, nous avons sélectionné quelques ouvrages de plusieurs axes différents pour cet anniversaire. Ce choix livresque varié rappelant que notre pays à la fleur de l’âge est concocté de livres qui retracent des périodes dans lesquelles le désordre souvent s’y est accru. Mais, on s’interroge surtout sur cette Algérie cinquantenaire devant les actes d’oppression et d’humiliation par son aïeule de cent trente deux ans avec ces acteurs qui ressortent le passé et évaluent le présent.
Kader Benamara, dans son récit Éclats de soleil et d’amertume relate une Algérie colonisée où la vie semblait impossible. Qu’il vive aux USA ou en Autriche, il porte en lui son pays qui l’inquiète, le taraude. Il est le premier Algérien à travailler au Fonds Monétaire International. Cinquante ans après, il a la même ambition pour sa terre natale, et est nostalgique d’un temps, d’un hymne de l’indépendance. Il livre « des anecdotes et rend compte de divers épisodes d’un monde disparu ». Les bruits et les odeurs comme les a-t-on déjà désignés pour montrer l’autre, en toute quiétude, Kader Benamara évoque ceux d’ El qasba sans réserve ni demi-mesure tel le chant d’une brise à capella. Il porte au tréfonds de son être cette Alger, El bahya, El mahroussa avec tous ses secrets. Lui qui est né sous les bombardements dans un abîme sinistre, ou plus plutôt dans une cave obscure d’un immeuble sis rue Randon, une rue qui sépare la Haute-Casbah de la Basse-Casbah où grouillaient les zouaves, son élan s’épaissit de désenchantements malgré ses éclats de soleil. Que dire de cette œuvre qui me poursuit sans relâche, si ce n’est la garder précieusement dans ma bibliothèque !
Un autre auteur qui ne « mâche pas ses mots » est Mohammed Ghafir surnommé Moh Clichy. Celui-ci s’engage au rang de la Fédération du FLN en France, et mène son combat sur le sol français. Dans son ouvrage Cinquantenaire du 17 octobre 1961 à Paris, il décrit l’expérience du combat, de la blessure, de l’engagement. Il dévoile ces manifestants pacifiques algériens happés par l’horreur et jetés en Seine. Son témoignage avec tous les documents officiels aide à mieux comprendre la guerre et ses dépassements. Il nous confie que les vies humaines des martyrs guettent de là-haut notre devoir de mémoire collective. Moh Clichy, un de ces acteurs de l’organisation des manifestations du 17 octobre 1961 est imprégné par le Commandement divin. Il entame son récit, comme acte de foi par le verset 283 d’El baqara (La Génisse). Ainsi ce verset du Coran est-il le préambule du livre de Mohammed Ghafir.
Le faux adage : une guerre bienfaitrice ! Une guerre souillée par le sang des innocents placée sans état d’âme au rang des vertus frise l’innommable, alors qu’on nous pave la voie par un silence qui dure, amenuise le temps et les souvenirs. René Naba, ce journaliste libanais à l’AFP dans son entretien avec Samir Mehalla, rédacteur en chef du quotidien Le Jeune Indépendant hausse le ton dans son ouvrage Le monde arabe en point de mire. Tous deux cernent le monde arabe, notamment le printemps arabe qui a mis à genoux des dynasties et a réduit en miettes l’insatiable convoitise des despotes qui empiétaient sur leurs peuples
Le dossier dans cette édition est consacré à la famille Amrouche. Nous publions un texte inédit de Marguerite Taos Amrouche Le bien et le mal sont frères. L’horizon aux normes monochrome du gris et du noir, son frère Jean Amrouche, dans ses vers l’évoque et le laisse couler de source.
Tous les auteurs de ce numéro portent en eux l’Algérie et enroulent leurs verves de projectiles venant des affres de l’invasion qui a duré presque un siècle et demi. Ainsi ces verbes qui tombent comme un couperet sont utiles à notre mémoire oublieuse qui feint de sonder à travers des binocles opaques ?
À la mémoire de toutes ces âmes qui ont assisté à l’horreur sans en avoir témoigné : parce qu’ils n’auront jamais la parole ! Parce qu’ils n’auront jamais d’écrits ! Parce qu’ils portent encore un verbe aphone ici dans ce monde ici-bas ou dans leur tombe… sommes-nous capables d’aimer cette patrie, la porter aux cimes de la liberté, et la laisser croître en toute clarté ?
Joyeux anniversaire à notre indépendance !
Bonne lecture !
Nadia Sebkhi
n.sebkhi@livrescq.com
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