«Ce récit de voyage en Algérie est une quête d’une maison originelle»
L’ivrEscQ : Trois jours à Oran raconte un voyage en Algérie. Une quête des origines ?
Anne Plantagenet : Trois jours à Oran, mon dernier livre, est le récit d’un voyage que j’ai réalisé en Algérie il y a quelques années avec mon père. Pourquoi ce voyage ? Parce que mon père et la famille de mon père viennent d’Algérie. C’étaient des Français d’Algérie, ceux qu’on a appelé ensuite les pieds noirs et moi j’ai grandi dans cet héritage pied noir. Je ne suis pas née en Algérie mais j’ai été nourrie par les histoires de ma grand-mère qui incarnait toute cette tradition et ce folklore pied noir. Il faut vous dire que j’ai eu des relations compliquées avec cet héritage : j’ai tout d’abord été assez fière de ces origines-là, fière parce qu’elles étaient assez exotiques dans la région où j’ai grandi, la Champagne, c’était aussi original d’avoir des origines d’Afrique du Nord. Ensuite, j’ai découvert une autre version, une autre face de cette histoire-là, la guerre d’Algérie, l’histoire du colonialisme et j’ai eu un autre éclairage, un autre regard sur ces origines qui m’ont mise mal à l’aise, qui ont fait que cet orgueil originel est devenu peu à peu de la honte. Entre ces deux rives, l’orgueil et la honte, l’Europe et l’Afrique, je me suis trouvée presque noyée entre ces deux rives. J’ai fini par souffrir de tout cela. Ainsi, ai-je compris que j’aille moi-même en Algérie pour y retrouver des traces mais aussi sans doute prendre ma place sur ces photos de famille dans lesquelles je ne figurais pas. Quand j’en parlais avec ma grand-mère, elle me disait que ce n’était pas mon histoire. C’était en quelque sorte une interdiction qu’il me fallait braver. Au contraire, c’était mon histoire aussi et qu’il fallait que j’aille en Algérie et que je finisse par prendre ma place sur ces photos. J’y suis allée et j’ai voulu ramener mon père dans ce pays où il est né et où il n’avait jamais exprimé le désir d’y retourner. Ce récit du voyage, qui est construit un peu comme un suspens, ramène une narratrice et son père, où lui est né et pas elle, tous deux à la recherche d’une maison originelle. Ils ne savent pas si elle existe encore, ce qu’ils vont trouver sur place. C’est une quête des origines qui est fondamentalement une quête universelle parce qu’on a tous une maison, des racines quelque part, qu’on assume plus ou moins bien. Ce voyage nous a révélés à nous-mêmes.
L. : C’est la fille, l’arrière-petite-fille d’une famille pied noir qui ne connaît pas les lieux de ses origines qui force son père qui y est né et a grandi. C’est plutôt l’inverse qui aurait été logique, non ?
A. P. : La vie ne suit pas nécessairement de «logique». La littérature encore moins. Le père n’avait pas exprimé le désir de «retourner» sur sa terre natale. Il en avait certainement très envie mais il avait trop peur. Il avait beaucoup à perdre alors que la narratrice avait tout à gagner. Le voyage était moins risqué pour elle.
L. : Cherche-t-elle à se libérer d’une double asphyxie : les silences, les traumas paternels, d’une part, et d’une vie privée, la sienne, de l’autre ?
A. P. : Elle cherche à comprendre d’où elle vient car elle est arrivée à un moment de sa vie où elle ne sait plus où elle va.
L. : Le voyage entrepris à Oran n’est pas vécu de la même manière par le père et la fille. Pourtant, ne sont-ils pas tous les deux sur les traces du passé de l’origine pied noir ?
A. P. : Le père et la fille ne font certainement pas le même voyage. Et d’ailleurs, ils ne voient pas les mêmes paysages, les mêmes décors. Dans tous les cas, je ne crois pas qu’il s’agit d’un voyage sur les traces du passé mais plutôt d’un élan en direction de l’avenir. L’important, au fond, n’était pas ce que nous allions trouver (ou pas) sur place. L’important, c’était de prendre les billets d’avion. De passer à l’acte.(…)
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