L’ivrEscQ : L’Algérie vous rend hommage au Musée national d’art moderne et contemporain. Une grande affiche de vous avec un visage intense et un sourire aux lèvres est au coeur d’Alger-Centre du 3 mars au 2 avril. Que ressent l’écrivain Mario Vargas Llosa qui a arpenté le temps et ses dédales par ce couronnement du Nobel et les hommages qu’on vous rend un peu partout, notamment en Algérie par cette exposition ?
Mario Vargas Llosa : Je suis très touché et très content de cette exposition à Alger ; je crois que tous les écrivains veulent être lus et reconnus. Le meilleur hommage qu’un écrivain puisse avoir, c’est d’être lu avant toute distinction. Depuis toujours, j’ai eu une chance extraordinaire d’aimer la lecture et, à partir de là, je suppose que mes écrits découlent comme reconnaissance à mes lectures. Pour revenir au Nobel, évidemment, ce couronnement va augmenter le nombre de mes lecteurs à travers le monde, car être lu est ma plus grande consécration. Je suis vraiment heureux de cette exposition à Alger. Je sais que très peu d’Algériens me lisent et connaissent mes travaux, mes essais, mes romans probablement à cause de la mauvaise circulation de textes ou autres. En revanche, j’ai l’espoir que cette exposition va booster l’envie de me lire et de me découvrir par le lectorat algérien.
L. : Dans cette exposition, nous découvrons vos photos, les couvertures de vos ouvrages en différentes langues, vos auteurs favoris allant de Faulkner, Flaubert, Mann, Hugo, Borges, jusqu’à Cortázar, Donoso, Fuentes et autres… vos feuilles écrites à la main, vos pièces de théâtre et certains de vos rôles…
M. V. L. : C’est dommage que je n’ai pas pu être présent à Alger pour différentes raisons qui m’ont retenues au Pérou, mais je suis de tout coeur avec cette exposition qui est la même que celle présentée à Paris à la Maison de l’Amérique latine. Celle-ci par contre, j’ai eu l’occasion de la visiter, elle est très bien réalisée. Beaucoup d’institutions avaient participé en apportant des informations sur mes objets, mes livres, mes vidéos… Une exposition qui reste très objective sur mon parcours et mes oeuvres dans lesquelles le contexte socioculturel ressort. Quant aux auteurs que vous citez, évidemment, ils sont incontournables, et tellement vantés par les lecteurs du monde entier. Leurs oeuvres marquent le temps. J’ai découvert, par exemple, Les Misérables de Hugo à mon très jeune âge. La première expérience intense de ma vie fut celle d’un lecteur avide. Très vite, j’étais ébloui par les auteurs tels que Flaubert, Faulkner qui impressionnent par leur existence vouée aux problèmes sociaux et politiques de leur temps. Probablement, ce sont ces auteurs-là et tant d’autres, par leurs oeuvres inclassables, qui ont laissé une trace indélébile dans mes écrits.
L. : Dans toute cette exposition qui se déroule à Alger, le pivot de votre existence demeure somme toute la littérature…
M. V. L. : La littérature a toujours été très importante pour moi, de même elle intéresse non seulement les écrivains, mais aussi les lecteurs. Oui, en effet, dans cette exposition à Alger, on ressort mes oeuvres littéraires et aussi d’autres activités parallèles telles que le théâtre ou même les rôles que j’ai eus dans certaines pièces. Si je puis parler de moi, je dirais que je suis passionné de la vie, j’explore les dimensions de l’histoire. En outre, j’ai beaucoup voyagé, conséquemment j’ai acquis des expériences un peu partout à travers le monde : au Pérou, pays de ma naissance, en France, en Espagne, en Angleterre, aux États-Unis.
L. : Vous incarnez à la fois le réalisme magique, mouvement littéraire majeur du XXème siècle latino-américain, et l’engagement politique tout au long de votre vie. Très jeune, vous accédez à la notoriété. Vous publiez Les Caïds, La Ville et les chiens, un immense succès, au final était-ce une époque où vous étiez en apprentissage de la vie et ses engagements ?
M. V. L. : C’est difficile de raconter mes engagements de l’époque dans La Ville et les chiens et la difficulté sociale dans laquelle les populations vivaient. Vous savez, les pays de l’Amérique latine, et mon pays notamment, étaient soumis à la dictature militaire, à l’intolérance, à la brutalité. On vivait des restrictions totales et toute sorte de déni de tout droit humain. Dans mes premiers romans, j’écrivais, sans doute, mon apprentissage sur les engagements et mes expériences personnelles de l’adolescence, surtout durant les années 1950/60 où la littérature avait un caractère générationnel, presque une idéologie. Somme toute, c’était un temps dans lequel la littérature créait une conscience de classe dans les inégalités criantes. Dans cette période de compromis social, l’écrivain s’inventait un espace pour le compromis avec sa propre oeuvre. Dans La Ville et les chiens, dans lequel une école militaire est le microcosme de la nouvelle réalité urbaine de Lima, j’ai écrit l’expérience urbaine du Pérou avec tous les remous sociopolitiques de l’époque.
L. : La Tante Julia et le scribouillard s’ensuit, c’est une histoire d’amour scandaleuse entre un jeune homme et sa tante plus âgée que lui. C’est aussi l’expérience d’un apprenti écrivain, Varguitas, qui écrit et déchire ses oeuvres sans lâcher prise. Il est novice face à un maître de la radio adulé par le Pérou tout entier, Padro Camacho. En définitive, la passion torride de Varguitas et de Julia laisse-t-elle supposer que l’écrivain avide de toutes les passions allait émerger sur la scène de la littérature universelle avec une profonde réflexion sur l’écriture, sur les affres de la création ?
M. V. L. : C’est tout à fait cela. On baigne dans les années 1960 avec des bouleversements sociaux où la radio au Pérou avait une place importante. La radio, unique source d’informations et de divertissement durant ces années-là, était suivie par des masses de latino-américains ; donc, évidemment, la littérature s’empare de ce sujet qui interpelle. Dans La Tante Julia et le scribouillard, Padro Camacho, animateur-vedette, est écouté religieusement par les populations péruviennes, et, je raconte cette époque à travers une histoire d’amour scandaleuse. Quel écrivain ne serait-il pas tenté de vaciller entre le permis et l’interdit ! Cette sensibilité, entremêlée d’un amour dérangeant, m’a beaucoup fasciné pour heurter un peu la moralité bourgeoise ; et puis il y a ce scribouillard qui ne lâche pas prise, comme vous dites, en inventant des histoires délirantes. Dans ce roman qui choque «son temps», on oscille entre le scribouillard qui dure dans son désir d’y arriver et de petites histoires qui gravitent autour d’un amour inconvenant…
Suite de l’entretien dans la version papier
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