Ce nouveau titre qui incite à la tentation voire à la curiosité, emprunte des éléments de croyances ancestrales mêlant prose et poésie.
Ce nouveau titre qui incite à la tentation voire à la curiosité, emprunte des éléments de croyances ancestrales mêlant prose et poésie.
Après Imaqar, titre intrigant, Rachid Mokhtari revient avec un nouveau roman aux éditions Chihab : L’amante. La beauté qu’il greffe dans la trame se dévoile dans chaque ligne de ce nouveau roman, et dont Rachid Mokhtari nous a habitués par son écriture. Il postule la volonté d’un style qui lui est propre, ou mieux, une force dans l’esthétique. Comme par lubie, l’écrivain joue avec les temps, entre le présent de l’action précipitée quasi irréfléchie, et le passé traditionnel de nos aïeux. Il trace une forme de parallèles entre notre ère et les temps immémoriaux. Le roman relie, par des voix étranges, les traditions à la modernité en s’interrogeant sur les destins des personnages de plusieurs générations. Une intrigue tissant des amours ravalées, des rêves éclatés, des envies en suspens… par le fil effiloché du temps. « Tamzat est venue du lointain des lointains te prêter main-forte au tissage du burnous, de mon burnous, mon linceul. J’ai froid. Mon corps est transi du froid bleu de la mort. J’ai tant besoin de tes doigts, de ta laine. Je ne sais combien de siècles tu as cardé (…) Ecoute-moi bien Tamzat, dans ce récit dont tu as cardé les mots et leur syntaxe dans lesquels se côtoient poésie et racontars, mis de la teinture aux couleurs écarlates à des morceaux de vie terne et tout de noirceur, toutes celles et tous ceux que tu as ressuscités par ta grâce, femme invisible, esprit qui gouverne les maisons désertées et les toits affaissés, les partants et les revenants, te parlent de ce burnous pour lequel tu as traversé le djebel Ouaq Ouaq pour hâter sa confection avant ce printemps maudit, qui a fleuri avec la mort ».
Au début du 20ème siècle, au fin fond de la kabylie, Omar veut construire une maison à étage. Son père Mohand Azraraq est un émigré qui connaît les affres du travail difficile en France. Il travaillait dans la métallurgie. Les cuves des aciéries françaises lui ont rongé les poumons. Sans masque, sa poitrine est en feu. L’odeur du métal a pourri sa vie. Il a assisté à de terribles injustices dont celle du contremaître. Ce marabout avait eu un accident. Une coulée s’était échappée de la cuve et l’avait handicapé. Là-bas, des émigrés mouraient où y restaient faute de moyens. Ils vivaient dans un logis insalubre du site ouvrier. Si Mohand avait hâte de rentrer chez lui pour sentir le parfum des cerisiers en fleurs, les arbres fruitiers et toutes ces odeurs de jadis. « Oui, je suis sûr que mes yeux retrouveront d’eux-mêmes la vue dès que je foulerai la terre de Tamazirt Iâalalen. Mais, elle ne sera plus comme avant. Omar a sans doute jeté la malédiction sur cette terre bénie, qui nous a vu naître. Une maison à étage ? Que verrais-je du balcon ou de la fenêtre de la pièce d’en haut? Tazazraït, sûrement, si Dieu et les saints préservent mes yeux. Je me recroquevillais sur ma banquette. Le bus démarra dans un bruit de ferraille assourdissant. Je compte sur ta bénédiction. Ô Sidi El Hadj Amar ! »
Le long du roman, un texte en italique gras introduit les réminiscences de Zaïna ou Tamzat la tisseuse de burnous. Si Mohand a besoin d’elle, de sa chaleur, de ses fils qui s’embrouillent comme deux amants voyant le temps passer et leur histoire d’amour secrète, douloureuse. A croire que le lecteur est au seuil de l’oeuvre à vouloir pénétrer sans que l’écrivain ne le lui permette. En France, Mohand Azraraq voulait thésauriser afin d’acquérir une parcelle de terre de Tamazirt Iâalalen. Mais, lorsqu’il rentre, en bateau, après tant d’années d’exil, comme par malheur, il ne pourra voir sa maison grimper vers les cimes du ciel. Il ne pourra se délecter de la contemplation de son village tant rêvé. Mohand ne discerne plus rien. Il est frappé de cécité.
En 1946, Omar a seize ans. Peu de temps après, Son père trépasse d’une mort subite qui l’emporte comme par malédiction dans cette nouvelle maison. Il rejoint Jedi Salah, lui qui a toujours gouverné Tamazirt Iâalalen.
« Même revenu moribond et aveugle de mes années des hauts-fourneaux, je nourrissais un fol espoir de recouvrer ma vue intérieure dans les anciennes odeurs de la maison paternelle, forte de ses racines et de la douce pente de Tamazirt Iâalalen, semée de mon enfance et de tous mes rêves d’exilé. Mais voilà que je ne retrouve rien. Que du ciment. Une atmosphère d’absence insupportable qui noircit l’âme. Rien, tu entends, rien ! »
Comme si les Saints lui interdisaient cette ostentation moderniste. L’odeur du vide et de la mort plane encore. Les aïeux veillent sur Omar. Ils l’ont couvé du pan de leurs burnous. La maison à étage serait-elle devenue maudite comme les cuves de Charenton ? Les mauvais esprits habitent-ils ce lieu ? Faudrait-il donner une waâda aux saints pour conjurer le mauvais sort ?
Comme si un incident aussi minime soit-il avait son importance dans ce roman, le destin a voulu que le petit-fils Hachimi soit écrivain. Désormais il écrira des morceaux de vies- sur le temps et ses dédales- que son grand-père, de sa tombe, lui raconte. Ce roman bouleversant est servi par une écriture poétique qui a ses adeptes et qui met les valeurs à leur juste place, à leur juste lumière.
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