De la publication de son dernier roman L’équation africaine à l’adaptation cinématographique de Ce que le jour doit à la nuit en passant par son expérience d’éditeur, l’écrivain Yasmina Khadra évoque dans cet entretien son actualité fructueuse.
L’ivrEscQ : Quelle est la genèse de l’équation africaine ? Peut-on la considérer comme s’inscrivant dans la continuité de votre célèbre trilogie ?
Yasmina Khadra : Absolument. Il s’agit d’une escale sur ma feuille de route littéraire. J’aime interroger mon époque et me situer par rapport aux événements et aux mentalités qui gravitent autour de mon existence. C’est quoi ce siècle que je traverse ? Pourquoi ce chaos qui trahit notre inaptitude à accéder à la maturité ? Qu’est-ce que l’intérêt suprême, la cause juste, la civilisation, le progrès et la régression ? Qu’est-ce que la mort pour les uns, la survivance pour les autres ? C’est à ces questions qu’essaye de répondre L’équation africaine. Nous vivons un monde erratique, violent, décevant par endroits. L’intelligence brille par sa propre crémation et la cuistrerie dame doctement le pion au savoir et à l’émulation. Les stéréotypes gèrent jusqu’à nos plus profondes convictions, et nous vivons de méconnaissance criardes et de raccourcis. J’essaye de m’opposer à cette crue de mensonges en m’attardant sur ce que je considère comme les origines du malentendu. Dans un sens, je tente d’expliquer notre époque en réclamant un minimum de bon sens et de perspicacité. Etrange comme à l’heure où l’Internet nous offre tant de réponses, nous continuons de nous poser les mauvaises questions. Pis, nous nous contentons de prendre pour argent comptant ce que la télé nous balance à la figure chaque soir. Une sorte de renoncement appauvrit notre vigilance intellectuelle et nous nous surprenons à nous faire des idées sur beaucoup de sujets qui nous échappent. Et dans cette cacophonie, chacun y va de sa petite fabulation en cherchant à nous l’imposer comme une vérité irréfutable. Le drame, personne n’exige de preuves. Une énormité qui se déclare quelque part et déjà elle est sur le bout de toutes les langues. Plus le scandale est corsé, et mieux il se porte. Il y aura toujours des colporteurs assez frustrés pour se charger de le propager. Les préjugés ont la peau dure. Les amalgames sont trop faciles pour ne pas être tentants. Et l’ignorance fait de chaque élucubration une érudition. Que faire ? Se diluer dans la rumeur et l’opacité ou bien réagir ? Ecrire est ma réaction à moi. Je refuse de céder aux abattages médiatiques, je m’interdis de me soumettre aux synthèses politiques et je lutte pour disposer de mon libre arbitre comme d’une seconde âme. Je sais que beaucoup de gens sont dans ma situation et font ce qu’ils peuvent pour ne pas se laisser abrutir et endoctriner. J’écris pour les rejoindre.
L. : La mort est très présente dans cet ouvrage, à commencer par ce suicide, puis cette lutte pour la survie ; on ressent une certaine empreinte traumatique…
Y. K. : La mort est la seule vérité vraie. Parce qu’elle est une finitude incontournable, parce qu’elle est une certitude absolue. En même temps, la mort nous éveille à la chance que nous avons d’être en vie. Et qu’est-on en train de faire de cette chance ? La tombe de nos rêves, notre chemin de croix, notre perdition ? Quand je vois avec quelle application nous nous compliquons l’existence et avec quel entêtement nous refusons de nous assagir, je me demande si nous avons conscience de ce que nous sommes en train de nous infliger. La haine et la cupidité font de nous des fauves. Les jalousies nous empêchent de nous émerveiller. Le clanisme nous confisque notre liberté de pensée, jusqu’à notre sobriété. La nocivité devient notre carburant et le ridicule ne nous effraie aucunement. Nous sévissons avec délectation et nous réclamons la justice tout en étant injustes. Nous nous donnons en spectacle en étant persuadés de fasciner et nous croyons savoir, alors que nous ne savons pas grand-chose.
L. : Dans quelle mesure êtes-vous impliqué dans cette adaptation, avez-vous imposé certaines exigences, approuvez-vous un veto sur certaines versions du scénario ?
Y. K. : Quel veto ? Un contrat a été signé, et je ne suis pas partie prenante de la conception cinématographique de mon roman. Arcady avait ses scénaristes. Il semble satisfait de leur collaboration. J’attends, comme le commun des spectateurs, de voir le film. Mon expérience avec le monde du cinéma m’amène à être patient. L’adaptation de Morituri m’a frustré(…)
Propos recueillis par Soraya Boudriche Derrais
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