Mouloud Mammeri nous disait que «le poète est celui qui a le don d’asefrou, c’est à dire de rendre clair, intelligible ce qui ne l’est pas…». Tahar Djaout tira très tôt le bilan de cette espèce de malédiction qui poursuit le poète : «et il faudra traîner —oh combien lourde — ma peau de poète / sous l’oeil-tentacule des miradors» ; Ici se réactive une condamnation ontologique.à rêver de bâtir une tour de la parole, le poète s’expose à l’ire des dieux. Terrible prédiction qui s’accomplit dans le sang ou le silence des poètes. Comment transgresser sans péril dans ce monde univoque le triangle des interdits, politiques, religieux et sexuels ? Poésie de la transgression, c’est aussi une parole sur un manque douloureux, l’accomplissement du sentiment amoureux dans une société où la mixité est combattue, où le verbe aimer fait partie des conjugaisons biscornues. Aussi atteint-il des sommets incandescents dans les poèmes, seul lieu d’accueil et d’expression. Et cet aveu, glissé dans Pérennes qui résonne pathétiquement vingt ans plus tard sur les hauteurs natales d’Azzefoun : «J’aimais l’aventure sans issue». Tahar Djaout était un enfant de la prodigue région d’Azeffoun. Il vécut aussi dans la populaire Casbah d’Alger. Il était, comme tant d’autres de sa génération, un «fils du pauvre» qui tracera le chemin de son émancipation sociale et culturelle par l’école. Connu aujourd’hui par son œuvre littéraire et son destin tragique, il s’illustra en fait au départ à l’université par des études en mathématiques dont il obtint une licence à 20 ans. école de rigueur et de précision dont on trouve de multiples traces dans son œuvre, y compris dans les plus échevelées. Précoce dans ses études, il le fut aussi dans sa vocation littéraire multiforme. Il se distingua très tôt dans l’écriture. Journaliste, écrivain et intervenant dans «le champ épineux de l’enjeu social», Tahar Djaout est emblématique d’une Algérie rêvée dont l’avènement a surtout rencontré le bruit, la fureur et le sang. Dans l’Antiquité, on baptisait poème ce qui nous semble relever de la prose eu égard à une classification qui dura des siècles avant que la confusion des genres ne devienne un exercice éminemment moderne. Les Anciens pourtant avaient déjà indiqué le chemin. L’Illiade et l’Odyssée et Les Mille et Une nuits en témoignent. Après cette brève digression, évoquons ce récit , roman inclassable, L’Exproprié Poème échevelé écrit par endroits dans un «français volontairement mal foutu» (Jean Sénac), un français subverti dans la syntaxe et la sémantique pour restituer dans un délire verbal une impasse historique, la condamnation du Père castrateur adossé aux ruines et aux mystifications emphatiques. écrit dans la fébrilité lors d’un voyage africain, c’est un peu une variation sur des illuminations formulées sous forme d’aphorismes sans réplique.On sait depuis Kateb Yacine que les Ancêtres peuvent redoubler de férocité et leurs indus descendants faire de la mort un culte étouffant. Il n’est pas étonnant que chez Tahar Djaout les ancêtres font l’objet de vigoureuses remises en question : Histoire/ régler la parade des squelettes / refaire les dates à sa guise/ retoucher les biographies/effacer le précédent/ le patriotisme est un métier. Tahar Djaout creusait en profondeur les questions existentielles et identitaires avec ses romans,
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