Par Guy Dugas
S’intéresser à Roblès aujourd’hui, lui consacrer une recherche ou un dossier comme nous le faisons ici plus modestement, c’est d’abord revenir sur l’histoire commune entre la France et l’Algérie, bourrée d’incompréhensions et d’injustices, de drames et de déchirements, mais c’est aussi s’intéresser à un siècle de présence des petits blancs en Algérie, à toute une « histoire souterraine » que se plaisait à souligner son compatriote de Rovigo (Bouguerra, aujourd’hui), l’écrivain Jean Pélégri, à quantité d’amitiés paradoxales et belles, comme celles que Roblès entretient fidèlement avec Mouloud Feraoun, Mahieddine Bachetarzi, Ahmed Smaïli, Mohammed Dib, El Boudali Safir, etc.
Emmanuel Roblès est né à Oran le 4 mai 1914 dans une famille d’origine espagnole. Orphelin de naissance, « enfant posthume » et malheureux de l’être (la figure de son père, mort du typhus sur un chantier marocain quelques semaines avant sa naissance, demeure présente dans nombre de ses œuvres). Il vécut donc son enfance entre mère et grand-mère dans le quartier espagnol d’Oran. Sa mère, qui s’est remariée en 1927 avec un ouvrier italien, fort mal accepté par Emmanuel (voir Saison violente, 1974), exerce le modeste emploi de femme de ménage puis de blanchisseuse.
Le jeune Roblès fait de brillantes études à l’école élémentaire puis au collège Ardaillon, jusqu’au Brevet d’enseignement primaire supérieur. C’est là qu’il côtoie les différents milieux constituant la société coloniale : des petits arabes considérés comme des moins que rien face aux jeunes Européens prétentieux mais dont l’aisance en toute chose ne peut être qu’enviée, en passant par les minorités, celle des Juifs particulièrement ostracisés dans l’Oranie du début du siècle, et la sienne – ces Français (50 %) si mal dans leur peau d’être assis entre deux chaises, et qui resteront ainsi jusqu’à l’épisode final, si mal nommé, des rapatriements.
On comprend ainsi la sensibilité humaniste, mais en même temps très partagée, qui, plus tard, sera celle de l’intellectuel – auteur d’ouvrages dénonciateurs du colonialisme, mais rétif à s’engager politiquement ; artisan du retour de son ami Camus en 1956 et de l’organisation de sa célèbre conférence sur la Trêve civile, et plus tard très proche de ses frères pieds noirs dont il préfacera volontiers les ouvrages nostalgériques. En 1948, après avoir donné avec Montserrat une œuvre théâtrale d’envergure internationale, créée simultanément à Paris et à Alger, Roblès a publié Les Hauteurs de la ville, premier roman d’auteur franco-algérien dont le héros positif est un de ces petits arabes (voir encadré) ; mais ce n’est que dans sa réédition en 1960, aux éditions du Seuil, qu’il lui donne sa véritable dimension anticolonialiste. En décembre 1959, il entreprend d’écrire une pièce sur Fernand Iveton – ouvrier et militant communiste, qui, surpris en train de poser une bombe dans un lieu non fréquenté par des personnes, fut sans détours condamné à mort et exécuté – en prenant bien soin de transposer l’intrigue en Indonésie, afin de ne pas prêter le flanc à la censure ; mais ce Plaidoyer pour un rebelle ne sera publié qu’en 1965, et reste si peu joué depuis, en France comme au Maghreb !
Grand voyageur, gardant assez longtemps Alger comme port d’attache, Roblès s’installe en France en 1958 jusqu’à sa mort en 1995. On connaît son activité éditoriale au Seuil, où il publie dans la collection qu’il crée dès son arrivée, ses amis maghrébins, mais aussi espagnols, italiens ou corses, et plus tard sa participation à l’Académie Goncourt. À travers tous ces espaces d’expressions, jamais il ne cessera de promouvoir les Lettres méditerranéennes, en quelque langue qu’elles soient (appui à Ahmed Séfrioui, Assia Djebar, dans la promotion et la diffusion de leurs œuvres, à Tahar Ben Jelloun dans l’obtention du prix Goncourt, publication aux éditions du Seuil d’écrivains maghrébins comme Mouloud Feraoun, son condisciple à l’Ecole Normale de Bouzaréah, Tahar Djaout ou Claude Kayat, traduction du témoignage de Leïla Baalbaki : Je vis, etc (…)
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