L’ivrEscQ : Le personnage central de votre dernier roman Les Thermes du Paradis est Adèle que vous décrivez disgracieuse. Elle ne s’aime pas. Contrairement à son aînée Rose «aussi belle de face que de fesse». Il y a dans votre écrit cet accord de deux notes : la beauté et la ternissure, la vie et la mort, l’amour et le désenchantement… Comment vous êtes-vous inspiré d’un axe de la vie et son contraire ?
Akli Tadjer : Je crois, et d’ailleurs j’en suis sûr, qu’en toute chose nous voyons d’instinct le monde de façon binaire: le beau, le moche. Le bien, le mal. Le soleil, les ténèbres… C’est notre part d’animalité qui nous porte à des jugements lapidaires. C’est ensuite qu’on nuance les a priori. S’agissant d’Adèle, la narratrice, je ne l’ai pas voulu moche. J’ai voulu qu’elle se trouve moche. Ce qui est pire car irrationnel. Et c’est d’autant plus cruel que nous vivons dans une société de l’apparence où l’on pardonne tout à la beauté même la vulgarité. Adèle se trouve d’autant reléguée dans l’ombre de sa sœur, jolie femme médecin, qu’elle a repris l’entreprise de pompes funèbres familiale. Inhibée de nature et croque-mort de profession, elle cumule Adèle. En même temps, c’est du pain béni que d’avoir le personnage central de votre roman lesté d’autant de complexes et de frustrations. C’est pour ça que j’en suis tombé amoureux.
L. : Au commencement de votre ouvrage, on décolle lentement par le job d’Adèle, croque-mort. Les phrases des adieux que les clients choisissent pour leur mort. Les larmes. Le spleen. Et la mort même des parents des deux sœurs… J’ai envie de citer cette accolade de Chateaubriand : «La vie me sied mal, la mort m’ira peut-être mieux.» Pourtant, il y a un plaisir euphorisant à vous suivre avec, si je puis me permettre, ces interstices lumineux dans le noir-pessimiste ?
A. T. : Vous savez, écrire un livre, c’est être à l’écoute de vos personnages. Je n’invente rien, je m’arrange avec leurs réalités. Je suis devant ma page blanche et je les entends me raconter leurs vies. Écrire, c’est être le passeur des histoires de vos personnages. Je fais cela très sérieusement comme un amateur, c’est-à-dire avec amour. Pour Les Thermes du Paradis, avec Adèle, Léo et Leïla, j’ai été gâté. J’ai eu droit à la plus belle histoire d’amour qu’on ne m’ait jamais confessée. C’était un bonheur d’écrire ce roman par ces temps maussades ou même les imbéciles ne sont plus heureux. Ce roman m’a rajeuni. Pour un peu, je serais bien entré dans la danse pour retrouver mes émois amoureux de trentenaire.
L. : D’ailleurs, lorsque Adèle trouve, enfin, chaussure à son pied lors de son anniversaire, le gars est atteint d’un lourd handicap, une cécité. Adèle reste rassurée que son Léo, ne la voie pas, néanmoins, elle se démène «financièrement» pour qu’il recouvre la vue. Il y a ce sentiment de se surpasser dans le suprême comme dans le tragique…
A. T. : Oui, Adèle se sent rassurée auprès de Léo parce qu’elle pense qu’il ne la jugera pas sur son physique. Elle se trompe. D’abord parce que toute relation, heureusement, n’est pas basée sur des critères physiques sinon il y aurait un paquet de culs en souffrance et elle se trompe encore, car les aveugles ont des yeux au bout des doigts. Léo va lui apprendre qu’on ne voit bien qu’avec le cœur et que l’essentiel est invisible pour les yeux (Saint-Exupéry). C’est d’ailleurs le second enjeu du livre. Il est possible que Léo recouvre la vue en se faisant opérer aux États-Unis et Adèle va se démener pour trouver l’argent. Malgré l’angoisse qui la submerge… «S’il retrouve la vue, peut-être que je ne lui plairais pas» Pourtant, elle prend le risque de le perdre au nom de son amour pour lui. L’amour, ce n’est que ça : aimer l’autre plus que soi-même.
L. : Vous évoquez le film Intouchables, un Blanc paraplégique dépendant d’un petit noir, comme dans votre trame le noir dépendant d’une blonde. Je vous cite : «Adèle, tu es mon intouchable». On confondrait aisément ce film de votre roman. Ce film, vous a-t-il inspiré ?
A. T. : À vrai dire, c’est arrivé tout à fait fortuitement. J’étais dans un chapitre où je ressentais le besoin de faire prendre l’air à Adèle et à Léo. Sortir où ? Au cinéma, j’ai pensé. Un aveugle au ciné, pour voir quoi? Ça prête à sourire. C’est à ce moment que j’ai pensé à Intouchables et tout ce que ce film charrie de rire et d’émotions. La dépendance à l’autre, la moquerie de son handicap, et la peur de perdre celle qu’on aime. Le plus drôle de cette affaire, qui n’avait rien de préméditée, est qu’on me demande souvent si j’ai écrit Les Thermes du Paradis pour qu’il soit adapté au cinéma avec Omar sy dans le rôle de Léo.(…)
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