C’était une occasion belle et rare, que celle d’écouter au Musée d’art moderne d’Alger, un mercredi de novembre, la poésie du poète suédois Tomas Tranströmer, Nobel 2011, lue par son ami Leif Olsson dans la langue d’Eluard et de René Char…
L’intérêt de cette lecture est d’avoir insisté avec délicatesse, mais netteté sur le style de travail poétique de toute une vie. Autrement dit : la manière de voir, mais surtout de faire sien le réel vécu de Tomas Tranströmer au plus intime de son imaginaire pour le réécrire aussi limpide qu’une éclaircie de ciel après l’orage et ses trombes de pluie.
On le sait : la littérature n’est jamais une reproduction mécanique (ou «photographique») de la réalité. Mais se rappelle-t-on suffisamment plongés que nous sommes dans la lourde tendance de l’époque à vouloir «nationaliser» ou «régionaliser» coûte que coûte un auteur qu’il ait pour nom Homère, Doris Lessing, Kateb Yacine ou Tranströmer ?..
Aussi, il fallait être «l’interstice» ou «le passeur» Leif Olsson, un sympathique dramaturge polyglotte, un proche ami de Tranströmer et «un cinéaste amateur» ayant filmé l’homme de lettres dans l’intimité de son appartement jouant du piano d’une main unique (parce que dramatiquement diminué par une attaque d’apoplexie et aphasique …) pour nous permettre de nous élever à un certain sens de l’oeuvre pour laquelle le commun des lecteurs
n’est, pour des raisons x, souvent pas préparé, instruit…
Le jeu de la métaphore
Tomas Tranströmer entre en poésie, et plus exactement encore entre en littérature mondiale dès son premier recueil intitulé 17 dikter (17 poèmes) publié en 1954 alors qu’il n’a que 23 ans… Son style et son audace sont déjà ceux d’un maître-écrivain :
«Voyez cet arbre gris. Le ciel a pénétré
par ses fibres, jusque dans le sol –
il ne reste qu’un nuage ridé quand la terre a fini de boire»…
Au cinéma, il aurait fallu trois images successives, trois plans pour «donner à voir» ce mystère de la nature : l’arbre qui boit et le nuage qui se rétrécit, se ride… Tranströmer fait, lui, comme dans le cinéma moderne : un plan continu d’une seule phrase et nous faire écouter ce réel en petite musique… Plus loin, vers la fin de ce premier recueil : «Un matin d’été, la herse du paysan accroche
les os d’un mort et des habits en loques. – Il est
donc là depuis qu’ils ont drainé les marais
et voilà qu’il se redresse et s’éloigne au grand jour. »
Tout un pan de l’histoire de l’humanité, sa conquête des terres ingrates (marais, mer, sables…) est là par la grâce humble de l’effort (…depuis qu’ils ont drainé les marais…) et se clôt avec optimisme et un rien d’humour par ce mort anonyme qui «se redresse et s’éloigne au grand jour». Mission accomplie !(…)
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