Violence, guerre, trahison, tromperie, déchirement, confessions sont les composantes essentielles du texte à la fois rugueux et épuré de Rachid Boudjedra. L’écrivain dévoile un monde baigné de fatalité et de dépit. La lourdeur du temps semble suspendue. Les mots sont épuisés par le sort des uns et des autres à tel point que le déchirement est dans toutes les pages.
Rachid Boudjedra, grande figure de la littérature algérienne revient avec son dernier roman Les Figuiers de Barbarie paru aux éditions Barzakh. L’homme et son double. Soi et sa jumelléité. Nadya, femme raffinée, à l’abri de la déchéance, et, Baya la mère de Rac, évincée par Karmar, une jeune coépouse. Rac et son frère jumeau Zahir. Un père puissant commissaire divisionnaire et un grand-père incarnant fierté et bravoure. Ce double regard fixe un monde désenchanté dans lequel l’écrivain apporte sa sensibilité et son interrogation sur une période de la colonisation de la conquête française jusqu’à l’indépendance. Le lieu est Constantine et ses mystères.
Violence, guerre, trahison, tromperie, déchirement, confessions sont les composantes essentielles du texte à la fois rugueux et épuré. L’écrivain dévoile un monde baigné de fatalité et de dépit. La lourdeur du temps semble suspendue. Les mots sont épuisés par le sort des uns et des autres à tel point que le déchirement est dans toutes les pages.
Lors d’un périple Alger- Constantine, le face-à-face Omar et Rachid unis par des sentiments forts est un bavardage interminable. Ils passent leurs instants à dérouler les réminiscences du temps passé. Rac se surprend à révéler à son ami qu’il est le meilleur. Qu’il a réussi ses études. Omar prend mal le bémol de son ami, et continue à siroter sa boisson ; il semble presque absent dans ses propres pensées. Rac n’aime pas le monde, c’est probablement la raison pour laquelle il aime son ami Omar car il voit en lui un intérieur qui se désagrège comme s’il porte en lui une des stigmates collectives de toute une époque. Omar souffre toujours du statut de son père collabo, et de son frère OAS. Il a rompu avec son géniteur le soupçonnant d’agent double. Omar reste taraudé par la trahison de son paternel, pourtant dans ce labyrinthe chaotique, il trouve un songe soyeux auprès de sa mère et son grand-père Mostefa, dont il est fier. Il aime sa mère Nadya plus que tout, cependant, il se demande quel rôle elle avait dans l’organisation. Omar se bat contre cette souffrance interne faite de culpabilité et d’amertume. Ainsi, il ne cache pas sa révolte aux dossiers de l’histoire.
Ce nouveau roman s’impose comme une réflexion nécessaire sur notre passé.
Sur cette terre écorchée au point même où les mouches portent les noms de Tacfarinas, Juba II, Kahina, Jugurtha ; entre Mozart, son hérisson et nana, chatte siamoise, l’écrivain use de sa dérision. Les personnages obsédés de Rachid Boudjedra sont désabusés. Comme si le monde porte en lui des plaies et des tragédies antiques qui continuent à nous hanter; ce sont des fantômes condamnés, incapables de s’en prendre aux éléments, ils s’en prennent à eux-mêmes.
L’écrivain met en scène ce conflit douloureux. Sans prendre parti, il décrit Rac révolté, désarmé, harassé, un roman qui provoque un silence bavard jusqu’au hurlement de la souffrance des hommes ; étrangement, cette fiction ressemble à la vie de nos parents. Une écriture forte, percutante presque de l’effroi, pourtant d’une éloquence saisissante. Dans ce roman l’écrivain esquisse un monde sans pitié ; une Constantine toujours debout, une atmosphère, une époque. Le monde de Rachid Boudjdra est un supplice aux quémandeurs d’amour et de songeries, allant jusqu’à deviner le vagin des femmes et les impulsions débridés d’un maître coranique qui fait le chantage aux petits enfants. Le prosateur frôle pudiquement ses sujets qu’on ose à peine balbutier. Et pourtant la goutte de l’acide sulfurique décante sur des âmes pures et candides. Il ne s’attarde pas sur des sujets sensibles. Il zoome sur les détails à peine évocables. Ainsi Les figuiers de Barbarie est une oeuvre dense comme on n’en a pas lu depuis des lustres dénudée d’artifices et de pathos. Un langage moderne, gorgé de violence, de douleurs et de hargne, qu’il a su polir au point de n’en garder que la puissance dévorante et une indicible mélancolie.
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