Le célèbre poète irakien Saadi Youssef est décédé, dimanche 13 juin 2021 à Londres, à l’âge de 87 ans, des suites d’une longue maladie, a-t-on appris de sources médiatiques.
Né en 1934 à Bassorah (Irak), le défunt est l’un des poètes arabes éminents de la deuxième moitié du 21e siècle. En 1954, il est diplômé en littérature arabe de l’Ecole de Baghdad puis entame une carrière professionnelle dans l’enseignement et la presse culturelle.
Il a à son actif plusieurs ouvrages et recueils de prose, dont « Des chansons pas pour les autres », «L’étoile et la cendre », « Loin du premier ciel ».
Ce dernier « Loin du premier ciel » (paru aux éditions Actes Sud 1999) montre l’engagement politique radical de Saadi Youssef qui lui a valu de passer le plus clair de sa vie en exil. Cette anthologie se propose de retracer soit itinéraire depuis les recueils de jeunesse – qui l’avaient déjà imposé parmi les voix les plus significatives de la modernité poétique arabe – jusqu’à la souveraine et foisonnante plénitude de ces dernières années. Grâce à l’affinement perpétuel d’un art dont la maîtrise n’altère en rien la spontanéité de l’émotion, il aura été l’un des rares à tenir le pari de « marcher avec les autres d’un pas solitaire ».
Le plus bel hommage qu’on puisse rendre à un poète est lire ses écrits.
Le poème ci-dessous, un adieu laissé sur le lit -source Abdellatif Laâbi relayé et partagé par les passionnés de la poésie-.
Poème laissé sur le lit
Quand, au soir
le calme règne dans sa chambre
et que le bruit s’arrête dans les couloirs
le petit-fils de Chihab (*) reprend son antienne :
« Aucune maison que nous avons construite ne dure
et le papillon meurt peu après avoir quitté son cocon »
Dans quelques jours, il reposera en terre
Londres est plus près de moi
que les maisons en argile de Hamdane (**)
suspendues sur les branches de palmier
dont les régimes sont encore chargés de dattes fraîches
Le jeune Saâdi traverse ses rues poussiéreuses
en plein midi.
Que veux-tu
ô Al-Akhdar (***) alors que tu t’étioles ?
L’Algérie est une mer
que les cieux n’arrivent pas à contenir
et Bassorah un ciel
qui s’est refermé sur l’onde
Après cet éloignement
elle ne se désaltérera pas avec l’eau
du Chatt el-Arab
Au début de la nuit
Imrou-l-Qaïs m’a rendu visite
Derrière lui
Ritsos lisait sa « suspendue »
« Arrêtons-nous et pleurons au souvenir de l’Aimée… »
Pourquoi pleurer, ô mon ami ?
L’aube est l’amorce du poème
et les souvenirs sont beaux
Les plus amers sont plus beaux qu’une heure d’exil
Moi, je suis comme vous
peut-être égaré
mais j’ai en mémoire les repères du chemin
Il se peut que nous nous rencontrions
deux fois
l’une dans le poème
l’autre à l’embouchure du fleuve
Al-Sayab a-t-il atteint le pont sur la rivière Boueyeb
ou est-il resté à mi-chemin
corrigeant le dernier vers de son poème ?
Toi, tu étais l’exilé d’un jour dans le Golfe
et moi, ô Badr
j’étais exilé toutes les années qu’a duré ta vie
Allons-nous nous rencontrer sous le jujubier
ou sous les palmiers ?
Bientôt, l’aube pointera
et mon âme partira en paix
Le drapeau rouge tombera-t-il
ou ma main continuera-t-elle à le tenir
au moment où nous nous en irons
dans le ciel de l’aube ?
Ô ma couleur préférée
Bagdad me vient à l’esprit
rouge en cette aube
comme la colombe effrayée
protégeant ses petits
Assez !
Je suis las de la couleur de l’oreiller et des draps
Derrière les rideaux
dimanche attend
Allons-y…
Allons vers le pâturage du ciel !
Nuit du samedi 12 juin 2021
(*) Grand-père de Saâdi Youssef.
(**) Village natal du poète, près de Bassorah.
(***) Sobriquet que le poète s’est donné lors de son long séjour en Algérie.
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