«Arabe, as-tu oublié d’où tu viens?»
L’ivrEscQ : Votre ouvrage La couleur du bistouri révèle bien des tons d’amertume et de désappointement, si je puis me permettre, surtout quand on sait que le bistouri effraie par sa couleur métallique, coupe la chair humaine… pourquoi un titre aussi évocateur ?
Rédha Souilamas : Le bistouri a une seule couleur : «argent». Là, il a pris la couleur de celui qui le manie, c’est à dire «basané». En plus, ce titre est mystérieux, ça donne envie d’ouvrir le livre.
L. : Vous avez dirigé le programme de transplantation pulmonaire. Un parcours irréprochable, dans une société française multi-ethniques, multiculturelle, multiconfessionnelles… qu’essayez-vous de transmettre à travers cette colère mesurée qui ponctue le long de votre récit ?
R. S. : Un parcours irréprochable dans une société multi-plein-de-choses mais qu’elle n’a pas décidé de son plein gré et qui ne veut pas aujourd’hui accepter et admettre que les enfants d’anciens colonisés sont devenus docteurs, ingénieurs, etc… Le jour où la société française l’acceptera, elle ira beaucoup mieux et sera réellement multi-ethnique et culturelle. Quant au côté multiconfessionnel de cette société, lorsqu’elle arrêtera de se polariser sur les musulmans pour se défouler, alors elle ira encore mieux. En fait, je veux transmettre que des métèques comme moi ont fait leur place en France, ancien colonisateur de l’Algérie, grâce à leur travail et leurs compétences. Ils n’ont pas été aidés, bien au contraire, ils sont souvent bloqués. C’est à la sueur de leur front qu’ils y arrivent. Quand ils s’imposent, on essaye de les assigner à une place, ils n’en doivent pas en bouger, sauf à déclencher un rejet aigu. Alors imaginez si ce même métèque tente de les dépasser, l’expression du racisme à son égard est à son apogée.
L. : Que voulez-vous changer à travers votre ouvrage, vous qui êtes issu de l’émigration privilégiée, vous pratiquez dans de grands hôpitaux parisiens contrairement à la première vague d’émigration, celle de nos parents manoeuvres, maçons, éboueurs…?
R. S. : Je ne veux rien changer, je veux juste expliquer que les discriminations et la xénophobie d’État qui s’exerçaient sur nos parents manoeuvres, maçons, éboueurs… s’exercent toujours sur leurs enfants même s’ils sont docteurs, ingénieurs, journalistes, écrivains… mais d’une manière plus subtile, plus déguisée. Avant, il y avait l’émigration ouvrière, aujourd’hui c’est l’émigration des neurones comme dirait un auteur algérien. La France mais aussi l’Algérie devraient tenir compte de cette métamorphose des flux migratoires. Les temps ont changé et les formes de discrimination aussi.
L. : Autrement dit, on a échangé la truelle contre le stéthoscope, le chantier contre les hôpitaux ou les universités…
R. S. : Oui ! Comme je l’écris dans mon livre, il n’était pas prévu que des métèques comme moi, soient un jour médecins, ingénieurs, avocats, etc… On ne dit plus «sale bougnoule» ; mais on dit «Qu’est-ce qu’il a à ramener sa science celui-là, il a oublié d’où il vient!» Souvent à l’hôpital, on me prend pour un brancardier. Les séquelles de l’histoire coloniale quoi !
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Une Réponse pour cet article
c’est un etat qui fuit l’histoire qui donne le dos à la vérité cher cousin j’apprécie ton idéologie noble comme ta vocation
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