Avec «La nuit des origines», Nourredine Saadi signe un roman qui fera date dans l’histoire littéraire contemporaine. Tant par l’originalité du thème que par la singularité dans le «tissage» du texte
Enraciné dans la mémoire de sa ville natale Constantine avec sa richesse géologique, hagiographique et architecturale mais aussi dans la mémoire du vieux Paris cosmopolite des milieux de la brocante, La nuit des origines a pour personnage une jeune femme constantinoise, divorcée qui choisit de quitter sa ville natale pour aller vivre à Paris sans faire d’histoire. Mais elle a une Histoire : elle hérite un manuscrit de son saint aïeul qu’elle emporte avec elle sur la route de l’exil. Sa relation avec le parchemin aux précieuses calligraphies est quasi charnelle. Il est sa généalogie, ses racines et sa psalmodie ancestrale. Cette émouvante scène se déroule dans le bureau de la conservatrice adjointe des manuscrits orientaux, spécialiste du Maghreb à la bibliothèque nationale. Cette dernière ne put s’empêcher de dire à Abla : Pardonnez mon indiscrétion, mais qu’est-ce qui vous pousse à vous séparer d’une telle merveille ? S’en séparera-t-elle ? C’est la grande énigme du récit, de son épaisseur métaphorique.
Abla a fui sa ville natale Constantine pour Paris, emportant dans ses bagages ce manuscrit de son aïeul Sidi Kebir Benhamlaoui Ben Ali, les prières sentencieuses de Moulay Abdeslam Ibn Maschich et le verbe protecteur des saints tutélaires de la ville du Rocher. Elle affronte l’exil, chargée de la mémoire hagiographique de son berceau de roc natal.
A Paris, elle échoue dans une petite chambre d’un foyer. Elle découvre la capitale et, un jour, ses flâneries l’emmènent dans les quartiers aux puces, le milieu de la brocante, où, dans le bar de Mère Jeanne, des brocs de mémoires tentent de résister à la casse des origines. Parmi nombre d’objets, bibelots et meubles d’époque, elle remarque un lit d’or à baldaquins qui lui rappelle celui de son grand-père. Elle rencontre Ali, enfant de la DASS qui tire ses origines de Constantine, ville qu’il ne connaît pas, brocanteur et ami de Jacques aux origines brouillées, lui aussi, pucier, surprend l’éclat du regard de Abla sur le lit à baldaquin dans l’entrepôt de Jacques ; un lit de la nuit des origines sur lequel le corps de Abla se refuse pourtant à l’abandon du plaisir. Et puis, il y a Jacques, l’ami de Ali-Alain, Père Paulo, Bernard, Mère Jeanne, la patronne du bar de la République des puces, où les noms sont abrégés, creusés par l’exil, une communauté d’expatriés, d’anciennes généalogies qui se sont fondues au cours des tumultes de l’histoire au coeur d’un vieux Paris.
Deux mémoires vont coexister désormais : celle de Abla-Alba, mystique, hagiographique, spécifique, contenue dans le manuscrit du saint patron de la ville-citadelle, Constantine, et celle de la brocante, polyphonique, multilingue, des brocs de souvenirs ; deux mémoires qui vont se rencontrer, s’affronter, se défier, s’enlacer, s’aimer, s’adopter mais se repousser.
La bibliothèque nationale s’intéresse au manuscrit de Abla, elle s’y présente et soumet la mémoire calligraphique de son ancêtre à l’expertise de son authenticité, le coeur brisé, devant son ami Jacques habitué à ce genre de transaction. Abla-Alba reprend possession de son manuscrit et, au sortir de cette séance, sombre dans un mysticisme délirant comme si son manuscrit avait été violé. Alain-Ali n’a plus de nouvelles de sa compatriote ancestrale, échoit sur le zinc de Mère Jeanne et noie son exil ravivé, plaies béantes des origines brouillées par l’arrivée de la porteuse du verbe de son prénom d’origine qui tournoie dans «la valse des puces». Abla-Alba égaie de la beauté de son corps qu’on aurait dit sculpté par les eaux immémoriales du Rhummel aux écumes katébiennes. Mais elle inquiète par son mutisme, son égarement intérieur. Forte, émouvante et tragique que cette dernière scène de ce roman généalogique où, dans l’atelier de Jacques, le commissaire-priseur marchande son manuscrit, l’âme de ses aïeux, de son sang, de sa lignée : …
Ce roman «tissage» de la cassure des origines spécifiques et universelles, fusionnées dans un état-civil de la brocante et dans une culture toponymique partagée entre une hagiographie de la sainteté et une géographie de la souika transplantée au coeur de Paris, introduit, dans sa syntaxe, une forme originale. Les dialogues sont intégrés dans le corps narratif du texte et ne sont pas signalés par des marques formelles (tirets, guillemets), comme si un méta-personnage les faisait couler dans la mémoire narrée.
2 Réponses pour cet article
svp j ai vraiment besoin de ce roman ou pui-je le trouver
merci de cette explication de ce commentaire ,mais je veux juste savoir plus à propos de ce roman ,plus exactement :l’espace (une réponse svp) nounou
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