Pour ce qui me concerne, en Poésie, il n’y a pas d’Ailleurs.
Dans cette dimension essentielle de la vie humaine qu’est la poésie, à y réfléchir vraiment, il n’y a pas de distance entre l’ici et l’ailleurs, entre le licite et l’illicite, entre le rêve et la réalité, entre le sens et le mot, entre la pensée et l’émotion.
Bien au contraire, à mon sens, la poésie est, précisément, cette perpétuelle et irrépressible pulsation, à la fois spirituelle et corporelle, lorsque la vie, la vie entière, dans toutes ses vérités et toutes ses dimensions, se concentre, dans l’instant, en un point incandescent, trou noir, vertige mortel, et s’ouvre aussitôt, en pétales de chair et de sang, en cri inhumain, en vision submergeant les certitudes, en prière obscure, en regret inutile, en acte d’amour, de terreur, ou de liberté.
La poésie est, alors, soudaine fusion du chaos dans lequel nous sommes, et qui, en réalité, nous constitue (chaos des mémoires, des désirs, des langages, des peurs, des espoirs, des illusions), soudaine fusion en une identité nouvelle; un morceau de silence obstruant la gorge, un signe incertain d’une main ouvrière et studieuse, un clin d’œil au soleil souverain, et, éventuellement, au bout du souffle, un poème…
Car, comme le savent trop bien les poètes, le poème n’est qu’une des manifestations de la poésie…
Dans son essence donc, la poésie est fusion, union violente, unité de tout ce qui est obscur et de tout ce qui est lumineux, avant même la réfraction éventuelle de cette énergie barbare dans la forme visible du poème.
La fulgurance du poème ne laisse aucun espace en dehors du poème lui-même ; en un seul instant, il aspire, aveugle, suffoque et abolit l’espace et la distance, comme un incendie, comme un déluge, comme un feu.
Ce phénomène est surnaturel car, en lui, se consument, ensemble, noués, l’espace et le temps, le désir et la défaite, la mort et la vie.
Que peut le poète face à cela ?
Pas grand-chose, en dehors de son métier, de son travail, de sa vie. …
Être poète, ce n’est pas être ailleurs, ce n’est pas être différent, ce n’est pas rêvasser, ou même rêver d’un ailleurs, d’un monde meilleur, d’un pays spécial, d’un territoire d’élection, d’une réserve innocente et paisible pour poètes et assimilés, grimés en sorciers multicolores, en griots de pure ébène, en dandys éthérés, en grand-prêtres païens, d’une cité parfaite où, miraculeusement, justice et liberté seraient désormais réconciliées, où l’amour serait accès senseur en état de marche, où la mort serait une posture esthétique, et où la beauté elle-même serait, à la fois, une drogue de luxe, aussi bien qu’une denrée démocratique…
Être poète, ce n’est pas cela, car, à mon sens, le poète ne peut être ce qu’il est, c’est-à-dire un instrument (musical) de la poésie, s’il se résigne, et accepte pour impérieuses et définitives, les catégories sémantiques de ce qui n’est pas la poésie.
Car, si elle est bien une manifestation de la quintessence du mystère de l’humanité des hommes, la poésie est, comme il se doit, constamment, dans une lutte, sans victoire possible, pour percer, l’une après l’autre, les dures couches sédimentaires de langages mensongers et trompeurs, de mots vidés de sens et de valeur, de discours usés jusqu’à la corde indestructible des pendaisons des hérétiques en tous genres…
La poésie, pour être, doit forger son propre langage.
Elle doit constamment penser en repensant, en particulier les évidences.
Elle doit parler en réinventant les paroles de l’antique même chanson.
Elle doit retrouver le sens des mots, redécouvrir parfois ce qui a été découvert il y a plus de mille ans.(…)
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